dimanche 7 mai 2017

LIBRE ET ASSOUPI, de Benjamin Guedj (2014)


LIBRE ET ASSOUPI est un film écrit et réalisé par Benjamin Guedj, adapté du roman Libre, seul et assoupi de Romain Monnery.
La photographie est signée Georges Lechaptois. La musique est composée par Mathieu Lamboley.


Dans les rôles principaux, on trouve : Baptiste Lecaplain (Sébastien Morin), Charlotte Le Bon (Anna), Félix Moati (Bruno), Denis Podalydès (Richard), Suliane Brahim (Valentine Caillou), Isabelle Candelier et Jean-Yves Bertheloot (les parents de Sébastien).
 Bruno, Anna et Sébastien
(Félix Moati, Charlotte Le Bon et Baptiste Lecaplain)

Après avoir espéré que ses parents l'entretiendraient toute sa vie, Sébastien s'installe en colocation avec Anna, qu'il avait connu sur les bancs de la fac et qui travaille dans l'édition, et Bruno, épris secrètement de celle-ci et qui collectionne les petits boulots. Pourtant sur-diplômé (dans plusieurs disciplines), Sébastien, lui, ne veut pas travailler car il est estime qu'il perdrait sa vie à la gagner. 
Richard et Sébastien
(Denis Podalydès et Baptiste Lecaplain)

Pour payer quand même sa part du loyer, il demande le R.S.A. et, après avoir rencontré un premier assistant social peu commode, rencontre son remplaçant, Richard, beaucoup plus accommodant et charmé par la philosophie du jeune homme alors que lui n'a jamais su comment être heureux, se contentant d'une petite vie conformiste.  
Bruno, Anna et Sébastien

Trois mois passent et quelques aventures loufoques animent l'existence du trio. Bruno devient gardien dans un musée la nuit et entraîne Sébastien dans son délire (s'y balader en slip) jusqu'à ce qu'ils surprennent des cambrioleurs et réussissent à les décourager - ça n'empêchera pas Bruno d'être viré à cause de la vidéo-surveillance. Sébastien convainc Anna et Bruno des bienfaits de la danse pour se défouler entre deux séances sur le sofa - en se lâchant ainsi, la jeune femme, troublée, comprend qu'elle est amoureuse de Sébastien.  
Anna, Sébastien et Bruno

Peu après, Anna invite des camarades de Fac à une soirée mais la fête prévue tourne au procès contre Sébastien accusé par les invités de vivre aux crochets de la société, de profiter du système. Bruno prend sa défense mais c'est Anna qui approuve le plus le mode de vie "différent" de son ami par rapport à leurs vies rangées à tous.  
Bruno

Cela n'empêchera pas, quelques jours plus tard, Sébastien d'écoper d'une amende pour trouble à l'ordre public après avoir été pris à parti par une femme qui le dénonce au gardien du square de ne rien faire mais de manière insolente. Le jeune homme obtient grâce à Richard un job (surveiller les contenus qu'une chaîne de télé prévoit de diffuser) mais se fait licencier, surpris dans une situation compromettante, après avoir remarqué une syndicaliste, Valentine Caillou, dont il est tombé amoureux. Bruno, comprenant qu'il n'aura aucune chance d'être aimé d'Anna et d'être épanoui professionnellement, postule pour un poste de journaliste sportif (son rêve) et le décroche, ce qui lui permet de déménager. 
Anna

La bande éclate complètement quand Anna, qui a entamé une relation avec Marco, révèle à Sébastien l'avoir invité à habiter avec elle pour former un couple. Déçue et blessée par son indifférence, elle lui demande de partir vivre ailleurs. Sébastien se réfugie un temps chez ses parents et, suite à une expérience limite avec un ours échappé d'un cirque, décide de surmonter sa vraie peur : agir, quitte à échouer.  
Sébastien

Sébastien devient donc vendeur... De lits ! Il rencontre ainsi Valentine Caillou, venue s'équiper en literie. Ils se plaisent, se marient. Sébastien lâche tout afin que Valentine travaille et de s'occuper de leur enfant - un boulot à part entière !

Comment filmer la glande, un héros qui ne veut rien faire ? C'est tout le projet du premier film de Benjamin Guedj dont l'angle comique ne doit pas masquer la profondeur du traitement. Car, en ces temps où la performance est réclamée chez chacun, où on juge un individu à sa productivité, il y a une vraie audace à faire de son personnage principal quelqu'un qui assume pleinement "préférer rêver [sa] vie que de la vivre".

Pour cela, il respecte une véritable éthique de la paresse d'autant plus remarquable que Sébastien est sur-diplômé, adore apprendre, mais refuse de perdre son temps à gagner sa vie. Il vit à contre-courant avec flegme (comme l'illustre, joliment, une scène récurrente où il emprunte une rue empruntée par une horde de cols blancs affairés qu'il doit traverser pour gagner un espace libre). Ne rien faire, c'est du boulot, surtout si on veut bien le faire !

Ce contemplatif, qui lit aussi bien Bukowski, Garcia-Marquez que Franquin (Gaston est sa série favorite évidemment, aussi inadapté que lui à la vie en entreprise, bien que, lui, ne soit ni un écolo, ni un inventeur, ni un anar - Sébastien pourrait être le petit-fils urbain d'Alexandre le bienheureux), passe ses journées et ses nuits sur le canapé de l'appartement où il vit avec Bruno, qui cumule les emplois précaires et ennuyeux, en lorgnant sur la belle Anna, qui oeuvre dans l'édition et finit par en pincer pour Sébastien (qui ne s'en rendra même pas compte). Il peut également compter sur Richard, l'assistant social le plus cool qui soit, qui accepte par sympathie pour son anticonformisme (alors que lui n'a jamais osé marcher en dehors des clous) de le couvrir administrativement en lui obtenant des allocations.  

Mine de rien donc, le cinéaste livre un objet certes curieux, très marrant mais dense (90 minutes bien remplies). On devine ses références (Klapisch pour le héros citadin, l'usage de la voix-off, la jeunesse des protagonistes, mais aussi la stand-up comedy avec un découpage en forme de vignettes - qui forme cependant une narration solide, avec une évolution). On y cite Rousseau ("Pour parvenir au repos, l'homme doit travailler"), on s'y promène la nuit dans un musée en sous-vêtements (pour illustrer l'hilarante philosophie "slipiste" de Bruno, qui parvient à décourager deux voleurs en les culpabilisant car s'ils commettent leur délit, il sera viré), on calme un ours en lui parlant allemand, et on tombe amoureux d'une jolie syndicaliste passionnée (même si elle vous fait perdre votre emploi).

Riche en punchlines efficaces ("travailler vient du latin tripalium, torturer"), l'histoire n'est jamais vulgaire, encore moins fainéante ! Le film séduit en ayant l'air facile alors qu'il est rigoureux, parfois même cruellement émouvant (l'aveu d'Anna à Sébastien - qui évite une romance a priori convenue).

Et puis il est porté par des comédiens formidablement complices et justes - Baptiste Lecaplain est fabuleusement sympathique, Félix Moati parfait comme d'habitude en loser magnifique, et Charlotte Le Bon... Hé bien, elle est sublime au point que c'est la seule chose incompréhensible chez Sébastien de ne pas fondre devant elle ! 

Ajoutez-y un Denis Podalydès génialement lunaire et bienveillant, et vous verrez qu'il est impossible de résister à ce plaidoyer pour l'oisiveté pas si fantaisiste puisqu'il dénonce avec à-propos qu'aujourd'hui "on est est défini par ce que l'on fait, pas par ce que l'on est"

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