mercredi 3 mai 2017

JEUNE & JOLIE, de François Ozon (2013)


JEUNE & JOLIE est un film écrit et réalisé par François Ozon.
La photographie est signée Pascal Marti. La musique est composée par Philippe Rombi.


Dans les rôles principaux, on trouve : Marine Vacth (Isabelle), Géraldine Pailhas (Sylvie, sa mère), Frédéric Pierrot (Patrick, son beau-père), Fantin Ravat (Victor, son frère cadet), Johan Leysen (Georges), Charlotte Rampling (Alice, sa veuve), Serge Hefez (le psy), Jeanne Ruf (Claire), Laurent Delbecque (Alex), Lucas Prisor (Félix), Carole Franck (la policière).
 Isabelle
(Marine Vacth)

Eté. Isabelle perd sa virginité en couchant avec un flirt de vacances, Félix : elle n'éprouve aucun plaisir mais se voit en train d'être dépucelée. Seul son jeune frère, Victor, est mis dans la confidence. Peu après, elle fête avec ses parents et un couple de leurs amis son 17ème anniversaire.
Isabelle a rendez-vous avec un client

Automne. Lycéenne sans histoire, élève brillante, Isabelle se rend en secret dans un hôtel chic où l'attend, dans une chambre, Georges, homme d'âge mûr, marié et père d'une fille, avec qui elle couche pour de l'argent. L'adolescente se prostitue depuis la rentrée des classes, contactant ses clients via un site de rencontres sur Internet et apprenant à deviner les désirs des hommes en regardant des vidéos pornos. Elle ment à sa meilleure amie, Claire, en racontant fréquenter un dentiste de 32 ans.
Georges et Isabelle
(Johan Leysen et Marine Vacth)

Isabelle enchaîne les passes, toujours avec des hommes fortunés, qui l'humilient parfois mais la paient bien. A la maison, ses relations avec Sylvie, sa mère, remariée à Patrick, sont tendues, alors qu'ils sont financièrement aisés et permissifs. Un soir qu'elle les accompagne au théâtre, elle aperçoit, lors de l'entracte, Georges avec une femme (elle apprendra ensuite qu'il s'agissait de sa fille) puis sa mère en compagnie de Peter, le mari du couple d'amis avec lequel ils ont passé les vacances d'été et qui est à l'évidence son amant. 
Pourquoi fait-elle ça ?

Isabelle revoit Georges mais il est victime d'un malaise cardiaque pendant qu'ils font l'amour. Elle tente, en vain, de le réanimer avant de fuir, en prenant l'argent. Ce drame l'incite à interrompre son activité, au moins provisoirement (elle s'est blessée au front accidentellement en sortant de la chambre d'hôtel). 
Avec un autre client

Hiver. La police a enquêté sur la mort de Georges et remonté la piste jusqu'à Isabelle. Après avoir parlé avec Sylvie, les autorités interrogent la jeune fille qui raconte dans quelles circonstances elle a commencé à se vendre, sans être sous le joug d'un proxénète mais après avoir été abordée dans la rue par un inconnu. Pourquoi a-t-elle continué ? Elle ne répond pas, même au psy qu'elle a désormais l'obligation de rencontrer une fois par semaine et qu'elle tient à payer avec son argent (plutôt que d'en faire don à une bonne oeuvre comme le suggérait sa mère). 
Sylvie et sa fille, Isabelle
(Géraldine Pailhas et Marine Vacth)

Isabelle devient la baby-sitter des enfants de Peter et son épouse. Le dialogue avec Sylvie est toujours délicat, même si Patrick tente de jouer au modérateur. La fille révèle à sa mère qu'elle sait pour sa relation avec Peter - et que si elle le lui avait avouée, cela aurait été une marque de confiance. Claire, sa meilleure amie, perd à son tour sa virginité, dans des circonstances déplaisantes. Isabelle accepte de l'accompagner à une fête où elle se rapproche d'Alex, un camarade de classe. Ils entament une relation amoureuse. 
"J'ai tout arrêté."

Printemps. Prête à rompre avec Alex, Isabelle démarche sur le Net de nouveaux clients. Elle en attend un dans le salon d'un hôtel et rencontre alors Alice, la veuve de Georges. Elles montent dans une chambre et s'allongent l'une à côté de l'autre sur le lit. Isabelle s'assoupit, puis se réveille en sursaut, seule - et soulagée d'être pardonnée de la mort de Georges, délivrée de son passé ?

François Ozon est un sacré numéro : il livre avec une régularité métronomique chacun de ses films, dont il écrit les scénarios en abordant à chaque fois des sujets audacieux, tout en conservant une qualité esthétique étonnante. Avec son physique de gendre idéal, c'est un cas à part dans le paysage cinématographique français. Et Jeune & Jolie illustre parfaitement la singularité du bonhomme et de son oeuvre, cette fois en posant un regard détaché et confondant sur une jeune fille qui se prostitue.

Le film est désarmant. Comme son auteur qui semble s'amuser comme un sale gosse avec cette histoire perturbante, racontée avec aplomb mais sans arrogance. Son aisance technique, sa capacité à explorer à la fois des thèmes similaires et subtilement variés, servent un goût affiché, assumé, pour les univers pervers (Swimming Pool ou Dans la maison par exemple) ou la transgression des codes populaires (les adaptations de pièces de théâtre comme Potiche ou Gouttes d'eau sur pierres brûlantes). Il puise une énergie indéniable dans cette volonté de brouiller les cartes, d'aller vite (sans jamais bâcler), de surprendre.

Cet opus s'inscrit dans la lignée de son excellent Sous le sable (avec déjà Charlotte Rampling, dans le rôle d'une veuve étrangement apaisée) : c'est un récit mystérieux, envoûtant, dont la sensualité est contrebalancée par un oeil froid, dépassionné, tout à fait étonnant.

En s'amusant à citer un magazine pour jeunes filles dans son titre, le cinéaste ne fait pas que désigner son éblouissante interprète, la révélation Marine Vacth (qui tourne peu mais bien, se partageant entre le grand écran et le mannequinat), qui joue sans se soucier de paraître sympathique, avec une insolente classe. Il fait preuve d'ironie pour un scénario qui n'a rien d'une bluette et se refuse à répondre simplement à ce qui pourrait passer pour une expérience limite d'une adolescente qui se vend sans prendre plaisir à l'acte sexuel mais sans avidité non plus - sa famille est argentée.

Les motivations d'Isabelle resteront aussi insondables, incompréhensibles, pour sa mère, son beau-père, les policiers, son psy, que pour le spectateur. Jusqu'au bout, elle gardera son secret, alimentant génialement notre frustration - ainsi Ozon échappe-t-il aussi à la comparaison avec Belle de jour de Buñuel avec son héroïne bourgeoise frustrée et masochiste. Surtout il nous laisse libre d'imaginer pourquoi la jeune fille fait ce qu'elle fait - échapper à un quotidien fade, défier sa mère, se démarquer des autres filles de son âge, chercher chez d'autres hommes son père absent, se moquer d'un beau-père si cool (au point qu'il lui fait penser à un de ses clients), tester son pouvoir d'attraction... 

En nous laissant spéculer sans fin, François Ozon prend des risques fous - laisser filer notre intérêt, être indifférent au sort d'une fille introvertie, parfois antipathique (alors qu'on a tant besoin d'apprécier ou au moins de s'intéresser à l'héroïne). Mais il nous retourne aussi avec un magistral twist final. Le résultat, à l'influence "Bressonienne", exempt de jugement, de morale, produit un trouble intense, durable, mémorable. 

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