vendredi 5 mai 2017

LE BEAU MONDE, de Julia Lopez-Curval (2014)


LE BEAU MONDE est un film réalisé par Julia Lopes-Curval.
Le scénario est écrit par Julia Lopez-Curval et Sophie Hiet, avec la collaboration de Vincent Mariette. La photographie est signée Céline Bozon. La musique est composée par Sébastien Schuller.


Dans les rôles principaux, on trouve : Ana Girardot (Alice), Bastien Bouillon (Antoine), Baptiste Lecaplain (Kevin), Sergi Lopez (Harold), Aurélia Petit (Agnès), India Hair (Manon).
 Alice
(Ana Girardot)

Alice, 20 ans, vit dans une H.L.M. à Bayeux avec sa mère, récemment licenciée pour des raisons économiques. Pour gagner sa vie, la jeune femme est serveuse dans un salon de thé où elle est abordée par Agnès, une bourgeoise, qui a remarqué le pull qu'elle s'est tricotée et qui lui propose de l'aider à intégrer une école de stylisme où elle pourra se former à sa passion pour la broderie. Peu après, pour la remercier, car elle a été admise, Alice offre une écharpe à Agnès et rencontre son fils, le séduisant Antoine. 
Alice et Antoine
(Ana Girardot et Bastien Bouillon)

Tous deux installés à Paris, ils deviennent amants. Mais dans le milieu aisé du jeune homme, Alice a du mal à se sentir à l'aise tout en sachant qu'ils sont les clients des vêtements qu'elle confectionnera au sein d'un atelier de luxe. Elle éprouve de même une honte coupable lorsqu'elle présente Antoine à sa mère et son beau-père à cause de leur train de vie plus modeste. 
Alice et Antoine

Bientôt, Antoine propose à Alice de vivre avec lui. Mais après qu'Agnès offre à la jeune femme de lui décrocher un stage dans une maison de haute couture, Antoine reproche à Alice de céder à la superficialité du milieu de la mode et de ses clientes. Alice, elle, remarque le regard plus condescendant que bienveillant d'Antoine quand ils participent à une soirée en compagnie de Kevin (l'ex d'Alice) et Manon (sa meilleure amie), qu'il semble davantage considérer comme des sujets pour ses photos que comme des gens en situation de précarité.
Antoine et Alice

En vérité, de tous les personnes qu'elle côtoie, le seul à l'apprécier sincèrement est Harold, le mari d'Agnès et père d'Antoine, car, comme Alice, il vient du prolétariat et il sait par quels sacrifices il faut passer pour réussir sans oublier d'où l'on vient. Sensible à son caractère humble et à son talent, il lui propose de lui louer un studio jusqu'à ce qu'elle puisse s'assumer financièrement.
Harold et Alice
(Sergi Lopez et Ana Girardot)

Alice est touchée par cette attention, comme lorsque Harold la consulte au sujet d'une fragrance qu'il met au point en s'inspirant d'elle mais aussi des senteurs de son enfance à lui. Souvent absent car il va prendre des photos pour une future exposition ou des magazines (auprès desquels sa mère l'introduit), Antoine conçoit de la jalousie du rapprochement entre son père et Alice. 
Antoine

Est-ce pour cela qu'il accrochera des photos de la jeune femme et de sa mère (sans inviter cette dernière) dans la galerie où il présente son travail ? Ou parce qu'il n'a jamais jugé opportun de leur demander leur autorisation ? En tout cas, en le découvrant, Alice le lui reproche violemment et rompt avec lui. Kevin la réconforte en lui avouant l'avoir toujours admirée pour sa force de caractère et sa vocation qu'elle s'est battue pour accomplir.
3 ans après...

Trois ans après. A Arromanches-les-bains, où ils avaient passé leur premier week-end ensemble, Antoine, installé désormais avec une nouvelle fille, traductrice, à Berlin, retrouve Alice, qui travaille beaucoup, en collaboration avec Harold. Ils n'ont jamais pu oublier leur amour tout en ayant conscience qu'en se quittant ils ont pu vraiment avancer dans l'existence.

Julia Lopez-Curval, en cinq films, est parvenue à bâtir une filmographie reconnue par la critique et appréciée par un public de fidèles. Elle a choisi pour son dernier opus de traiter d'un thème rebattu, mais à sa manière, sensible et juste : l'amour entravé par les conventions sociales.

Le sujet n'est donc pas original, depuis Roméo et Juliette, la tragédie originelle de Shakespeare, il a inspiré plus d'un cinéaste, de bien des manières. Le résultat est ici probant, émouvant et sobre, même si on peut déplorer aussi un certain manque de souffle romanesque et un rythme un peu mollasson.

Alice, l'héroïne, est issue d'un milieu modeste mais elle est une brodeuse douée et appliquée qui saisit l'opportunité, quand elle se présente, d'intégrer une école où elle pourra se perfectionner. Son art est ingrat, c'est un labeur de l'ombre, minutieux, et son enseignant ne l'épargne pas pour qu'elle soit plus audacieuse. Parallèlement, elle quitte son petit ami pour tomber dans les bras du fils de sa bienfaitrice, un garçon séduisant, qui se vante volontiers de suivre de grands principes et affiche un mépris certain pour les frivolités du monde la monde. Progressivement, Alice comprend le gouffre qui la sépare d'Antoine, malgré l'amour qu'elle éprouve pour lui, parce que leurs divergences culturelles sont inspirées par la différence de leurs origines sociales - révélation soulignée par les dialogues engagés avec le père du jeune homme, qui, comme elle, vient du bas de l'échelle et est devenu un grand parfumeur grâce à la seule méritocratie.

Julia Lopes-Curval agrémente donc sa romance d'un discours social, mais sans lourdeur. Alice n'est pas une victime échouée dans une famille bourgeoise et les bras d'un amant cynique. Les situations sont plus ambiguës car on la voit aussi éprouver de la honte et de la colère contre sa mère au chômage, résignée, n'attendant plus que de recevoir ses indemnités de licenciement. Elle abandonne aussi sans regret Kevin, son fiancé, pour Antoine. 

La découverte de l'hypocrisie des bourgeois est aussi montrée de manière subtile, lorsque Alice surprend une discussion entre Agnès et sa fille où elles décrivent la jeune femme avec dédain et ricane en notant qu'elle ne ressemble heureusement pas à sa mère. La condescendance d'Antoine apparaît aussi progressivement : d'abord séduisant et aimable, il dévoile son vrai visage de fils capricieux, jaloux, jouisseur, indélicat.

Dans l'épilogue, avec les années qui ont passé, pourtant, tout cela s'est pacifié et on assiste à des retrouvailles douces-amères entre les amants : il n'est pas question de renouer, mais de faire le point, de féliciter chacun pour sa réussite et son bonheur - même si Alice, en répétant qu'elle "travaille beaucoup", dissimule mal les séquelles qu'elle conservées de cette éducation sentimentale et professionnelle.

Ana Girardot, (découverte dans Simon Werner a disparu... et qui sera tête d'affiche du prochain Klapisch, mi-Juin, Ce qui nous lie) d'une grâce absolue, joue avec finesse cette jeune femme instruite cruellement, face à Bastien Bouillon, déjà épatant (avant sa composition irrésistible dans La Prunelle des mes yeux) parce qu'il ne cherche jamais à sauver son personnage. On peut néanmoins regretter que le scénario n'ait pas mieux développé les seconds rôles, comme celui de Baptiste Lecaplain (dans un registre dramatique) ou, dans une moindre mesure, celui de Sergi Lopez (qui, cependant, s'en tire mieux, parvenant à faire exister Harold en peu de scènes par sa présence chaleureuse - même s'il assez déroutant qu'un comédien espagnol compose un rôle avec un prénom aussi anglo-saxon...).

Tout n'est donc pas parfait dans ce petit film, mais en fin de compte, le long métrage ressemble à un ouvrage de broderie, d'une belle finesse, et à un conte sur les désillusions endurées pour grandir.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire