mercredi 31 août 2016

WHITE BIRD, de Gregg Araki (2014)


WHITE BIRD (White Bird in a Blizzard) est un film écrit et réalisé par Gregg Araki, adapté du roman Un Oiseau blanc dans le blizzard de Laura Kasischke.
La photographie est signée Sandra Valde-Hansen. La musique est composée par Robin Guthrie.

Dans les rôles principaux, on trouve : Shailene Woodley (Katrina "Kat" Connors), Eva Green (Eve Connors), Christopher Meloni (Brock Connors), Shiloh Fernandez (Phil Hillman), Dale Dickey (Mrs. Hillman), Thomas Jane (détective Theo Scieziesciez), Angela Bassett (Dr. Thaler), Gabourey Sidibé (Beth), Mark Indelicato (Mickey), Sheryl Lee (May).

Automne-Hiver 1988. Eve Connors disparaît subitement et sans explications un jour de la maison où elle vit avec son mari, Brock, et sa fille, Katrina ("Kat").
 Eve Connors
(Eva Green)

Incrédules, le père et la fille avertissent la police, qui accorde apparemment peu d'importance à l'affaire, même si le détective Theo Scieziesciez promet de suivre le dossier.
 Kat et Brock Connors
(Shailene Woodley et Christopher Meloni)

Pour l'adolescente, cet événement suit la perte de sa virginité dans les bras de son petit ami et voisin, Phil Hillman, jeune homme séduisant mais vrai cancre au lycée, qu'elle fréquente davantage pour le sexe que par amour, même s'il diffère désormais fréquemment leurs étreintes.
 Kat Connors et Phil Hillman
(Shiloh Fernandez et Shailene Woodley)

Kat est en vérité presque soulagée de la disparition de sa mère comme elle le confie à sa psychothérapeute, le Dr Thaler, et ses deux meilleurs amis, Beth et Mickey, car Eve Connors, après ses premières années comme épouse et mère, était devenue une femme perturbée, agressive, méprisant ouvertement son mari, et oppressant sa fille.
 Kat, Beth et Mickey
(Shailene Woodley, Gabourey Sidibé et Mark Indelicato)

Parce qu'elle a besoin de réponses mais aussi parce qu'elle est physiquement attirée par lui, Kat se rend chez Theo et couche avec lui. Le détective a l'intime conviction que Eve Connors est morte, probablement assassinée, même si aucune preuve contre Brock, qu'il suspectait, n'a permis de le confondre. 
 Theo Scieziesciez et Kat Connors
(Thomas Jane et Shailene Woodley)

Printemps-Eté 1991. Kat suit désormais des études universitaires à Berkeley et profite d'une semaine de vacances pour rentrer voir son père. Il lui annonce fréquenter une nouvelle femme, May, et elle lui donne sa bénédiction puisque Eve n'a pas reparu.
En revoyant Theo, la jeune femme apprend que, contrairement à ce qu'elle pensait, la police a continué à enquêter sur la disparition de sa mère. Mais en remarquant que Phil l'évite et en essayant d'interpréter les rêves récurrents qu'elle fait au sujet de Eve, Kat s'interroge sur l'éventualité d'une liaison entre son ex-boyfriend et sa mère et si son père s'en doutait également.
La vérité sera sensiblement différente mais finira par éclater peu après le retour de Kat en fac...

J'avoue ne m'être jamais vraiment penché sur la filmographie de Gregg Araki, même si je connaissais le cinéaste de nom et de réputation : distingué comme un des enfants terribles du cinéma indépendant américain, il avait sensation avec Kaboom, un long métrage explosif sur la sexualité de la "doom generation" des années 90.

En adaptant un roman de Laura Kasischke, consacrée depuis avec la parution de son chef d'oeuvre Les Revenants, on pouvait donc estimer que Araki s'assagissait. Et cette impression semble se confirmer dès les premières scènes de White Bird à l'esthétique à la fois sobre et élégante, loin des extravagances colorées de ses précédents efforts.

Pourtant, en s'intéressant à nouveau à une adolescente, le cinéaste continue d'explorer cet âge de la vie qui a inspiré ses oeuvres antérieures : en lieu et place d'une recherche de sensations fortes via des stupéfiants, c'est la quête d'une mère subitement disparue qui est au coeur de cette histoire. Et, contre toute attente, cette disparition ne provoque pas de grand bouleversement chez Kat et son père, même si elle survient au moment où la jeune fille s'éveille sexuellement. 

Les lecteurs de Laura Kasischke ne seront pas dépaysés par la transposition sur grand écran de Gregg Araki : il restitue parfaitement les décors familiers de la romancière, cette banlieue pavillonnaire de la middle-class américaine, située dans une ville si banale qu'elle n'est jamais nommée. Ce cadre tranquille est d'abord, dans le premier acte de l'intrigue, moins celui d'une investigation classique (la présence policière y étant résumée à un seul détective, très moyennement motivé) qu'à un champ d'expérimentations diverses pour l'héroïne. Entre ses cours au lycée, ses soirées à refaire le monde avec ses deux meilleurs amis, son flirt avec son voisin, Kat s'ennuie et la disparition de sa mère intervient comme l'élément déclencheur pour s'émanciper. Libérée de cette présence qui n'avait rien de la figure maternelle rassurante, elle aspire à des sensations fortes et, sous le prétexte d'indiquer une piste au policier chargé de l'affaire, se donne à lui après s'être présentée chez lui dans une tenue sans équivoque.

Araki pose cette première partie à la fin des années 80 qu'il reconstitue à l'économie (budget modeste oblige) mais de manière habile, au moyen d'une bande-son datée (Cure, Depeche Mode).

Le deuxième acte débute après une ellipse de presque trois ans et va insister sur l'influence intacte de la disparue, sorte de fantôme hantant encore son mari et sa fille. Araki ponctue ce retour épéhémère au bercail de scènes oniriques en laissant le spectateur spéculer, comme Kat, sur leur signification.

L'histoire a changé de décennie et les couleurs traduisent aussi bien ce saut dans le temps que l'exacerbation des sentiments vis-à-vis de ce mystère irrésolue. Kat a besoin désormais de réponses pour avancer dans la vie, et le film va et vient, de flash-backs trompeurs sur la glissade psychologique de Eve, à la fois frustrée et aguicheuse, et la maturité acquise par sa fille, prête à affronter la vérité. Le procédé permet de souligner la mécanique interne de l'intrigue reposant sur la question de la transition et du conflit : même dérangée et dérangeante, cette mère est, à l'image du titre du film, encore invisible comme un oiseau blanc dans le blizzard mais interpelle sa fille en rêve en lui indiquant qu'elle est là, devant elle.

En étant décidée à déchirer le voile, à découvrir pourquoi et dans quelles circonstances Eve est partie, Kat sonde une liste de suspects potentiels : son ex-petit ami était-il aussi l'amant de sa mère ? Son père l'a-t-il appris et s'est-il vengé (confirmant le récit du détective au sujet de menaces mises à exécution contre de précédents voisins) ? Tout cela se résumait-il à une lutte entre une mère souffrant de ne plus être désirée et jalouse de sa fille devenue plus attirante qu'elle, à une compétition de séductions. En creusant ces pistes, Araki donne à la fois une substance étonnante à la disparue en même temps qu'il définit Kat par le biais de cette douloureuse introspection.

De spectatrice, Kat devient force motrice, et l'interprétation qu'en donne Shailene Woodley est remarquable, aussi convaincante dans l'expression du charme physique, troublante combinaison d'un corps sensuelle et d'un visage encore adolescent, que dans la détermination affichée de la jeune femme avide de réponses.

Son face-à-face atypique avec Eva Green, lors de scènes brèves et intenses, offre à cette dernière l'occasion d'une composition à la fois vertigineuse, où elle réussit à être parfaitement crédible en quadragénaire à la dérive (alors qu'elle n'avait que 34 ans lors du tournage, soit à peine onze de plus que Woodley), et teintée d'auto-dérision (le rôle joue à la fois sur sa présence érotique et ses précédentes prestations dans des rôles habitées).

Pour son formidable duo d'actrices, son dénouement imprévisible et remuant, son ambiance subtilement malsaine et sensuelle à la fois, sa puissance symbolique, ce récit initiatique en forme de polar mérite vraiment qu'on s'y arrête : un film envoûtant, métaphorique et troublant.

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